Top of the Lake : China Girl – Graine de Campion

Probablement l’une des séries les plus acclamées de ces dernières années, et ce par la grâce d’une seule saison, Top of the Lake avait marqué en 2013 le retour sur le devant de la scène médiatique de Jane Campion, réalisatrice aussi discrète que précieuse, à la carrière souvent ramenée à sa seule Leçon de Piano, couronnée à Cannes en 1993 de la Palme d’Or.

Une récompense dont (trop) peu peuvent se targuer, rares étant malheureusement les femmes à avoir reçu la reconnaissance de leurs pairs, de Cannes donc, aux Oscars, en passant par les Césars.

Une anomalie en forme d’injustice, une parmi tant d’autres au sein d’une industrie cinématographique éprouvant les pires difficultés à passer outre ses carcans profondément genrés.

Cette question de la représentation du genre et de la femme en particulier, Jane Campion n’a en revanche, elle, aucun mal à l’aborder. Elle en fait même le lit privilégié de son cinéma, la source même de ses combats.

Top-of-the-Lake-China-Girl-2Avec la première saison de Top of the Lake, la réalisatrice néo-zélandaise avait déjà trouvé en cela un moteur d’expression à la mesure de ses ambitions. Utilisant à merveille les possibilités offertes par le format télévisé en comparaison de celui du ciné (par nature limité en terme de durée), Jane Campion s’était offerte le luxe de replacer la figure de la femme au cœur d’un genre (le thriller policier) aux codes traditionnellement masculins, la faisant motrice et véhicule identitaire du récit, loin, très loin de ces personnages écrits pour subir, dépeints pour être les faire-valoir d’une histoire qui (en dehors de satisfaire un public une nouvelle fois masculin) n’en aurait en fait pas vraiment besoin.

Elisabeth Moss, Holly Hunter : deux actrices au sommet, deux prestations saisissantes, tantôt fragiles, tantôt percutantes. Deux facettes, surtout, d’un féminisme assumé, revendiqué, malgré tout déconstruit et confronté lui aussi.

Une raison d’être personnelle, aussi sociétale, dont Jane Campion va faire de Top of the Lake une caisse de résonance magistrale, en abordant sans tabou, toujours avec sensibilité et goût, toutes les problématiques y étant reliées, des rapports hommes-femmes les plus banals aux situations les plus tragiques, au moins les plus amorales : sexisme ordinaire, stigmatisation, discrimination, jusqu’au viol et autres formes (insidieuses) d’agressions.

Sous couvert d’un thriller formellement efficace, un pamphlet subtil, à la fois incisif et inclusif.

Une somme de qualités que Jane Campion remettaient donc en jeu à l’épreuve d’une suite qui, il faut bien l’avouer, n’avait pas vraiment de raisons évidentes d’exister.

Ouverte, aux enjeux suspendus avec leur lot de questions (sciemment) non résolues, la fin de la première saison traduisait ainsi à merveille la complexité, surtout le goût d’inachevé des luttes et des combats, où juste n’est pas toujours synonyme de mieux.

Des non-dits dont Jane Campion va pourtant intelligemment faire le ressort du premier épisode de Top of the Lake : China Girl.

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En ramenant son personnage principal (l’inspectrice Robin Griffin, incarnée par Elisabeth Moss) à Sidney, ville qu’elle avait dû quitter (et par là même son fiancé) au début de la saison originelle pour retourner dans sa ville natale, la metteure en scène va ainsi se servir de cet effet miroir, au demeurant plutôt malin, pour établir un lien naturel et sensé entre le passé de Griffin évoqué à demi-mot dans la première saison, et les conséquences qu’a pu avoir cette conclusion très amère, sur elle, sur sa vie, sur celle qu’elle essaiera de reconstruire dans cette saison-ci.

Le pont entre les deux saisons dressé, Jane Campion s’attachera alors au cours de ce premier épisode à caractériser de manière très précise (sans outrances ni lourdeurs) tous les autres protagonistes d’une intrigue dont le meurtre de la China Girl du titre fera certes office de fil conducteur, mais ne sera finalement qu’un axe narratif parmi bien d’autres, et dont on sent d’emblée qu’ils ne demanderont qu’à bien vite s’entrechoquer.

Top-of-the-Lake-China-Girl-1De tous ces personnages, la fille de dix-sept ans de Griffin va cristalliser l’attention de Jane Campion, et concentrer autour d’elle l’ensemble des thématiques que cette dernière entend aborder.

La (dé)construction de la cellule familiale, la place même du féminisme dans les dynamiques à l’œuvre en son sein, l’asservissement moral et sexuel, l’opposition des classes à l’aune de la culture et du savoir.

Emboîtant le pas de Veena Sud sur The Killing et de Chris Chibnall avec Broadchurch, Jane Campion s’intéresse donc moins dans cette introduction à l’enquête policière en tant que telle qu’aux pièces qui seront ultérieurement nécessaires à sa résolution, s’attachant à prendre tout le temps nécessaire à la clarification (sans trop en dévoiler évidemment) de chacune d’entre elles.

Une approche d’autant plus agréable et pertinente que le visionnement (bien que vivement encouragé) de la première saison ne s’avère finalement pas nécessaire à l’appréciation et à la compréhension globale de cet épisode, à la fois dans la pleine continuité des bases posées, et nouveau départ totalement assumé.

Une donne que l’absence de numérotation dans le titre de cette seconde saison, au profit du sous-titre China Girl, tend effectivement à montrer, une note d’intention à elle-seule quant au fait que cette nouvelle mouture de Top of the Lake, tout en souscrivant à l’héritage de sa prédécesseure, pourra se regarder et s’apprécier en toute indépendance.

À mi-chemin entre la série traditionnelle et l’anthologie à la True Detective ou Fargo, Jane Campion avec China Girl choisit d’explorer une voie médiane des plus intrigantes qui, même pour celles et ceux prenant le train en marche, saura se montrer pleinement satisfaisante, et dont on attend donc désormais la suite, au regard de la réussite formelle et structurelle de ce premier épisode, avec la plus grande impatience !

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Épisode vu dans le cadre du Festival du Nouveau Cinéma 2017.

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