– Papa, raconte-moi une histoire.
– D’accord, d’accord. Que dirais-tu de celle de La Reine des Neiges ?
– Noooooon !! Tu me l’as déjà racontée mille fois !
– C’est vrai, tu as raison. Mmm, laisses-moi voir… Je crois qu’on a fait le tour de celles de Charles Perrault… Celles des frères Grimm aussi… Très bien. Comme tu as besoin de changement, je vais te raconter ce soir une histoire d’une très grande conteuse belge, Gabrielle Vincent. Et cette histoire, c’est celle d’une petite souris rêveuse et du Grand Méchant Ours…
– Le Grand Méchant Ours ?
– Le Grand Méchant Ours ! Ô bien sûr, tu verras, il n’est pas vraiment méchant : il ne l’est que parce que les autres le pensent. On appelle ça des préjugés.
– Des préjugés ? Ça veut dire quoi ?
– Ça veut dire que le Grand Méchant Ours n’est pas vu par les autres pour ce qu’il est vraiment. Les petites souris en ont peur et le croient méchant parce qu’elles répètent ce qu’on leur a appris depuis qu’elles sont bébé, sans vraiment réfléchir davantage. Et aussi parce qu’elles ne l’ont jamais vu. Et les autres ours, eux, n’aiment pas non plus le Grand Méchant Ours, parce qu’ils le traitent de voleur et méprisent ce qu’il est. Tout comme les grandes souris méprisent la petite souris rêveuse d’ailleurs ! Elle est différente, tu sais. Enfin, différente… Disons qu’elle ne suit pas tout à fait les idées et les règles qu’on lui impose, et qu’elle a d’autres envies que ce qu’on veut lui faire faire.
– Comme quand la maîtresse dit à Arthur qu’il n’arrivera à rien dans la vie parce qu’il est nul en maths et qu’il préfère écrire ?…
– Euh oui ma chérie, c’est un peu ça…
– Mais la petite souris rêveuse, elle a des préjugés aussi ?
– La petite souris, elle, est plus rusée, plus futée que les autres. Elle est curieuse, dessine ses rêves, a soif d’apprendre ! Et pour sûr, elle n’hésiterait pas une seule seconde à dire à ta maîtresse qu’elle a tort.
– Oui mais… Elle peut quand même avoir des préjugés la petite souris !
– Tu as tout à fait raison. Mais elle est ce qu’on appelle « ouverte d’esprit » : elle ne pense pas que le Grand Méchant Ours soit vraiment méchant. Elle ne le connaît pas pourtant. Mais elle en est sûre. Et puis tu sais, c’est aussi en grande partie grâce à elle qu’ils deviendront amis. Mais là encore, les autres ne comprendront pas vraiment… « Une souris amie avec un ours, tu n’y penses pas ! » ils diront…
– Mais pourquoi les autres ne les laissent pas tranquille et les embêtent ? Je veux dire… C’est pas leurs histoires !
– Oui. Mais tu verras plus tard, les gens aiment mettre les autres dans des cases, ils n’aiment pas trop ce qui leur est étranger. Et les chefs aussi d’ailleurs. Tu entends souvent Papa et Maman parler de capitalisme, de libéralisme. Et on te dit souvent que parfois, ça fait du mal aux gens, et que certaines personnes ne sont pas d’accord avec ça. Que plein de gens ont du mal à manger alors que certains ont beaucoup d’argent, et que c’est injuste. Et bien c’est un peu ce qui arrive au Grand Méchant Ours, qui a trèèèèès faim, mais pas assez d’argent pour se nourrir… Et la petite souris, ses chefs ne la comprennent pas, parce qu’elle adore dessiner, alors qu’on veut qu’elle ramène plein de dents, parce que c’est sa tâche, ce qu’elle doit faire. Un peu comme ton copain Arthur.
– C’est nul, c’est pas juste… Moi je veux faire ce que je veux… Même si ça plait pas aux gens.
– Et il n’y aucunes raisons que tu n’y arrives pas ma chérie. Après tout, la petite souris et le grand ours vont y arriver ! Alors… Veux-tu que je te raconte l’histoire d’Ernest et Célestine ?
– Ouiiiiii !
– Mais tu me promets d’écouter jusqu’au bout ?
– Promiiiiiis !
– Ok. Je veux que tu écoutes jusqu’au bout, parce que ces paroles que je vais te conter sont celles d’un grand écrivain, dont j’espère que tu auras la chance de lire les écrits quand tu seras plus grande. Cet écrivain, ma chérie, s’appelle Daniel Pennac. Et ses paroles se chérissent, se respectent, et se dévorent. Comme le Grand Méchant Ours dévore les sucreries… Et si tu es sage, tu auras même le droit de regarder le film qu’en ont fait Stéphane Aubier, Vincent Patar et Benjamin Renner…

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