Lucile Hadzihalilovic avec Innocence et Évolution, Deniz Gamze Ergüven et Mustang, désormais Léa Mysius avec Ava : on peut dire que les anciennes de la FEMIS ont fait de la jeune enfance et de l’adolescence leur terrain d’expression privilégié.
Un choix on-ne-peut plus sensé quand vient le moment de poser les fondations d’un cinéma et d’un univers qui ne demandent qu’à s’affirmer. À l’instar d’une ado de quinze ans, le moment est tout trouvé pour tenter, parier, explorer, quitte à rater. L’échec alors encore pardonné, pour peu qu’il serve de terreau à de nouvelles idées, à de nouveaux choix aux conséquences alors bien mieux anticipées.
Toujours sur le fil du rasoir quant à leurs intentions d’un point de vue émotif, déjouant les pièges classiques du pathos emprunté pour révéler au contraire des émotions d’une grande pureté, les films de Lucile Hadzihalilovic et de Deniz Ergüven osent utiliser les codes du genre quitte parfois à en trahir l’esprit, pour toujours mettre en avant leurs personnages, véritables moteurs narratifs portant constamment sur leurs épaules les enjeux plus larges infusant leurs récits.
Une approche fondamentale quant à la réussite de l’entreprise, que Léa Mysius reprend à son compte dans Ava de manière certes moins puissante, mais du reste plutôt satisfaisante.
Pourtant, les premières minutes font craindre le pire, et tendent à laisser penser que l’on risque d’assister à une énième histoire de crise existentielle adolescente, mal aidées il est vrai par un enchaînement de situations éculées en guise de passages obligés. Les prises de becs entre Ava, l’esprit vif et au caractère bien affirmé, et une mère-copine par moments encore moins mature que sa propre fille ; son entichement d’un mauvais garçon au cœur pas si dur, stigmatisé, rejeté par tous, en particulier par sa propre communauté ; les mauvais coups, traduisant le refus d’autorité et le besoin vital de liberté.
Tout cela répond donc d’une sorte de cahier des charges dont on sent constamment les effets arriver, enlevant sur ce plan toute surprise à l’histoire narrée.
Qu’à cela ne tienne, Léa Mysius a gardé un atout, et non des moindres, dans sa manche : le fait de faire d’Ava une jeune fille qui sera incessamment sous peu atteinte de cécité.
Outre le sentiment d’urgence que cet élément central du scénario va insuffler au récit, dans la mesure où Ava va dès lors chercher à croquer la vie à pleines dents en se montrant enfin à l’écoute de ses sentiments, il va également être pour la jeune metteuse en scène l’occasion de faire la démonstration de son œil plastique, en offrant à intervalles réguliers de belles propositions esthétiques.
On se surprend ainsi à être souvent séduit par des plans à la composition des plus travaillées, soutenus par une très belle direction photo enrobant chaque scène de couleurs chaudes, aux nuances jaune-orangé, traversées ci et là de teintes bleutées prenant leur pleine mesure lors des séquences en basse luminosité : celles, en fait, où l’on voit Ava subir de plein fouet les conséquences de sa vue en train de décliner.
Un charme visuel marquant pourtant une scission nette avec ses consœurs. Là où ces dernières ont en effet réussi à tenir leur note d’intention tout au long de leurs récits respectifs, conjuguant forme et fond de front afin de produire un tout cohérent, Léa Mysius, elle, a tendance sur Ava à perdre ses idées en chemin.
Il n’est ainsi pas rare d’assister à des fulgurances momentanées, rapidement évacuées dès la séquence suivante pour revenir à quelque chose de plus consensuel.
On pense notamment à ce cauchemar assez bluffant, au cours duquel Ava voit d’une part sa mère, le sexe comme le reste de son corps à nu, assise sur la table du salon, d’autre part sa petite sœur être exécutée d’une balle dans la tête par la police municipale, pour finir sur un insert sur le visage d’Ava avec un œil s’agitant dans sa bouche…
… une séquence détonnante au sein du film, qui se recentrera dès lors sur une structure plus conventionnelle.
Comme si Léa Mysius avait eu peur de pousser jusqu’au bout sa volonté de casser les lignes et les codes, en cherchant à rassurer le spectateur de suite après avoir pourtant voulu le sortir de sa zone de confort.
L’idée de la cécité répond d’ailleurs malheureusement, elle aussi, de cette logique. Car une fois le constat posé, le diagnostic accepté par Ava, le chagrin de sa mère surmonté, quelques séquences où l’on voit la jeune fille se préparer à affronter la vie totalement aveugle, cet élément dramatique ne deviendra finalement guère plus qu’un prétexte, justifiant les agissements et les décisions d’Ava, sans réellement influer sur ces derniers.
Un concept intéressant sur le papier, que Léa Mysius aurait donc pu nettement mieux exploiter.
Là où sa sensibilité de cinéaste prend en revanche sa pleine mesure, c’est bien dans sa direction d’acteurs. En particulier dans sa manière de filmer et mettre en scène Noée Abita, crevant de belle manière l’écran en déployant un jeu très nuancé tout en fragilité, pour peu que l’on passe par-dessus cette sempiternelle moue boudeuse qui semble avoir fait école depuis Adèle Exarchopoulos dans La Vie d’Adèle.
Si l’on pourra tiquer sur l’écriture des monologues prononcés par le personnage d’Ava (le syndrome de faire parler des enfants avec des mots d’adultes), le reste des dialogues se montre lui suffisamment crédible pour que l’on s’attache aisément à la plupart d’entre eux, ce qui était pourtant loin d’être gagné au regard de leur dimension archétypale tout de même très prononcée.
En résulte ainsi un film animé d’une sensibilité indéniable, aussi maladroit dans sa structure et ses capacités que convaincant lorsqu’il daigne laisser libre court à ses idées. Sans atteindre la fraîcheur des Combattants de Thomas Cailley, ou la maturité filmique d’Innocence et de Mustang, Ava possède malgré tout pour lui (et c’est déjà beaucoup) un amour de ses personnages communicateur, ainsi qu’un savoir-faire visuel étonnant.
Un petit plaisir joliment réalisé ? Une très bonne raison finalement de pleinement en profiter.
Film vu dans le cadre du Festival du Nouveau Cinéma 2017.
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